Quels sont les métiers en tension dans la vallée ? Une question de motivation plutôt que de compétences
a) Un peu tous les métiers sont en tension, sauf l’agriculture
Après avoir interrogé une quinzaine d’acteurs clé toutes catégories confondues, le premier résultat est qu’il est difficile de dresser un tableau précis des MET dans le CM-2, tant plusieurs secteurs d’activité rencontrent des difficultés de recrutement. Certains de nos interlocuteurs comme le Président de la CCTMN appuient sur le fait que toutes les entreprises du territoire rencontrent des difficultés de recrutement. Le même son de cloche résonne auprès des autres acteurs rencontrés :
« Ah oui mon secteur est clairement en tension. Mais c’est le cas dans toute la vallée » (Entretien n°1.9. VTMN, Co-directeur d’une entreprise de l’industrie mécanique à Saint-Amans-Soult).
« Toutes les offres sur le territoire ne correspondent pas aux attentes des demandeurs d’emploi […] Je pense qu’il y a réellement une tension. L’an passé on a vraiment galérés on a été obligé de bosser plus et les salariés ont fait des heures supp car on n’arrivait pas à recruter. Ça vient aussi de ce que la société attend » (Entretien n°1.1. VTMN, Agriculteur, fabricant de fromage, et Maire d’Albine).
Sur 9 entreprises locales, les deux exploitations agricoles que nous avons rencontrées sont les seuls à ne pas exprimer de difficultés de recrutement. Si ces agriculteurs ne nient pas avoir eu des difficultés par le passé, ils n’envisagent pas pour autant d’entamer des projets de recrutement, soit parce qu’ils ont déjà leurs effectifs complets, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens d’embaucher un temps plein à eux seul, hors groupement d’employeur :
« Là je n’ai pas de salarié et je ne recrute pas, mais je pense que si je recrutais la difficulté serait le manque de candidats. Cela peut leur faire peur que ça soit un emploi multitâche. Avec de multiples employeurs car nous personnellement on n’a pas les moyens d’avoir un temps plein, mais par la CUMA oui si on arrivait à monter un projet… Il faut pouvoir s’adapter, notre secteur est très manuel, ça peut faire peur aussi » (Entretien n°1.5. VTMN, Couple d’agriculteurs producteurs de lait à Saint-Amans–Valtoret, dont le président de la caisse locale du crédit agricole, maire adjoint à Saint-Amans-Valtoret et trésorier de la CUMA à Montagnol).
« Nous ne recrutons pas en ce moment […] En fait beaucoup d’exploitations ne dégagent pas assez de revenus pour embaucher quelqu’un. A temps plein, non, à temps partiel, difficile. En groupement d’employeurs il y a eu des expériences, des échecs il y a 15-20 ans, mais ça échoué donc les gens sont restés là-dessus. C’est difficile. […] Je ne pense pas que l’agriculture soit en tension ici. Le monde de l’agricole est en transition. Les baby-boomers prennent la retraite, et on ne sait pas ce qui va advenir des fermes. Ces gens-là n’embauchent plus. Les descendants ne sont pas intéressés. Est-ce que des personnes extérieures vont venir reprendre les fermes ? Vont-ils s’installer ? Vont-ils embaucher ? On ne sait pas » (Entretien n°1.6. VTMN, couple d’Agriculteurs, éleveurs de vaches laitières, et fabricants de fromage, à Rouairoux, dont le Président de la CUMA d’Anglès).
Selon les agriculteurs rencontrés, l’agriculture ne peut être considérée comme comportant des métiers en tension. Même l’industrie agro-alimentaire en rencontre en fond de vallée. Ces agriculteurs n’excluent pourtant pas le recrutement de saisonniers durant les périodes estivales, de stagiaires et d’apprentis.
Dans le cadre du projet SOLID’R, ils ne sont pas non-plus contre le fait de recevoir des personnes réfugiées en stage ou en poste. Néanmoins, nous faisons le choix de ne pas privilégier cette piste pour le projet. La majorité ne pouvant recruter qu’en temps partiel, cela ne peut pas s’accorder avec l’emploi du temps d’une personne réfugiés ou DEA ayant du mal à être mobile surtout dans un espace à fortes contraintes territoriales. A cela s’ajoute la localisation des exploitations, éloignées du la N112 et souvent plus haute en altitude sur l’un des deux versants de la vallée (voir l’étude de cas n°1). Aucun transport en commun ne les dessert, ce qui rend de facto ces métiers presque inaccessibles à ces publics-là.
Cela est bien illustré par notre représentation 3D de la vallée (voir carte n°16). Par exemple, si un travailleur veut se rendre à la ferme du Rodier à Rouairoux, il n’y a aucun transport en commun. Il devra s’y rendre par ses propres moyens, de préférence en voiture car la voie verte ne passe que dans le fond de vallée. Le Rodier se situe au sommet de Rouairoux, comme nous pouvons le voir sur versant nord, et en temps partiel par groupement d’employeurs, s’il faut par exemple aller ensuite travailler à la ferme de Saint
Amans-Valtoret pour finir sa journée, sans être mobile c’est difficile, voire impossible. Les fermes ne recrutent pas, et leur localisation imposent d’énormes contraintes de mobilité. Pour le projet SOLID’R, le l’attention doit donc se porter sur les entreprises du fond de vallée, même s’il est important de souligner que les agriculteurs sont plutôt réceptifs au projet et ne doivent pas être bannis si des solutions de mobilité peuvent être apportées.
b) L’industrie, premier secteur rencontrant des difficultés
Contrairement aux exploitations agricoles, les industries se situent plutôt dans le fond de vallée (voir étude de cas n°1), ce qui rend leur accès plus simple le long de la N112, bien qu’elles se situent dans des espaces éloignés du pôle mazamétain (voir carte n°9 et 16). En exploitant les données qualitatives que nous avons pu récolter lors de nos entretiens, nous avons remarqué que trois secteurs d’activité principaux sortes du lot parmi ceux rencontrant de grandes difficultés à recruter du personnel. En l’occurrence, le secteur le plus cité et qui fait écho au glorieux passé industriel textile de la vallée (R. Cazals, 1984, 2010), est le secteur de l’industrie. Les industries du fond de vallée (industrie mécanique, du bois, et d’autres secteurs tels que la brique en terre cuite, l’agro-alimentaire) ont du mal à recruter du personnel.
Les difficultés à recruter dans l’industrie mécanique sont ressortis dans quasiment tous les entretiens. Cela nous est confirmé par les principaux intéressés que nous avons rencontrés, et par les conseillers départementaux :
« En termes de qualification pure nous avons des difficultés à recruter car on est dans une niche. Trouver un ingénieur typé hydroélectricité c’est compliqué, ou bien il faut le débaucher, mais un jeune, il n’y a pas d’école type. Le gros problème c’est la localisation. St-Amans, ça n’attire pas, nous avons été obligés d’ouvrir un bureau à Toulouse. Nous sommes une petite structure, dans un espace rural, avec des métiers spécifiques, il faut un peu jongler. Mais on forme en interne » (Entretien n°1.7. VTMN, Fondateur, et directeur financier d’une entreprise spécialisée dans la fabrication d’énergie renouvelable, à Saint-Amans-Soult).
« Je vais parler plutôt pour la partie usinage car je m’occupe plutôt de ça. Depuis juillet j’ai mis des annonces un peu partout, le Pôle emploi, des affiches dans les salons spécialisés, sur des sites internet, et je n’ai eu aucune réponse qui match. Ou par la géographie, ou par rapport au poste lui-même » (Entretien n°1.9. VTMN, Co-directeur d’une entreprise de fabrication de machines spéciales à Saint-Amans–Soult).
Nous l’avons vu dans notre partie diagnostic, le bois est une ressource importante sur le territoire du CM-2. N’ayant pas pu rencontrer d’entreprise officiant dans le secteur du bois, nous en avons déduit les difficultés grâce aux personnes ressources et aux personnes rencontrés hors du cadre des entretiens : « Dans le secteur du bois, surtout pour la coupe, nous avons beaucoup de mal à trouver des bûcherons, ça manque. A Anglès ce sont des gens qui arrivent du Maghreb qui viennent faire la coupe. Et on a été les chercher ! Cela fait 50 ans que ça dure, ce n’est pas nouveau. C’est quand même fou alors qu’il peut y avoir des gens ici pour effectuer ce travail » (Entretien n°3.1. VTMN, Conseillers départementaux du CM-2). Historiquement c’est donc un secteur qui a toujours manqué de main d’œuvre.
Plus largement c’est la quasi-totalité de l’industrie locale qui rencontrerait des difficultés. En témoigne Le directeur d’une briqueterie à Albine, qui nous a fait part de ses inquiétudes par rapport aux métiers qu’il propose au sein de son entreprise. Des inquiétudes qui serait les mêmes pour toutes les industries de la vallée et plus largement, au niveau national : « On a des difficultés à recruter, Je ne dirais pas par secteurs d’activités mais plutôt par types de métiers. Mais ça je sais que c’est un problème partout il manque environ 50 000 soudeurs aujourd’hui en France, 100 000 chauffeurs de poids lourds. Oui il y a des métiers en tension. Les métiers techniques liés à la mécanique et l’électromécanique, et à la réparation des outils industriels sont vraiment très en tension » (Entretien n°1.3. VTMN).
Il serait difficile de dresser une liste de tous les métiers en tension au sein des entreprises, tant celles-ci recherchent des personnes polyvalentes, pouvant occuper des postes de travail différents. Les métiers de l’industrie les plus désertés par les demandeurs d’emploi sont les métiers nécessitant de bonnes capacités physiques et de grandes capacités d’adaptation. Un agriculteur fabricant de fromage (Industrie agroalimentaire) à Albine, nous l’explique bien : « C’est vrai qu’on a eu plus de mal pour le travail physique et le travail répétitif car on a quand même une partie plonge, et c’est vrai que ce sont des boulots qui sont… (silence révélateur) Pourtant on essaye de faire tourner, qu’il n’y ait pas toujours la même personne, mais c’est vrai que ce sont des travails toujours plus ingrats, c’est moins attractif » (Entretien n°1.1. VTMN).
Si toutes les industries se situent dans le fond de vallée, elles ne sont pas toutes situées à proximité de la N112, ce qui nous ramène une nouvelle fois au problème de la mobilité. Les transports en commun ne desservant pas les routes secondaires. Même si elles bénéficient d’une localisation favorable, les travailleurs sont quand même obligés de trouver des stratagèmes afin être présents à l’heure (voire carte n°16).
c) Les métiers des services à la personne
Les métiers des services à la personnes (SAP) et du bâtiment sont deux autres secteurs parmi les plus cités lors des entretiens. Pour les SAP, il convient de rappeler que près de 40% de la population du canton a plus de 60 ans, ce qui représente potentiellement un grand nombre de personne nécessitant de l’aide à domicile. Selon l’un des conseiller départementaux (Ancien directeur de maison de retraite à Labastide
Rouairoux), il y a 5 maisons de retraites sur le territoire du canton, dont 3 à Mazamet, où il manquerait du personnel qualifié. Nous avons rencontré la directrice d’une agence d’aide à domicile de Mazamet qui rencontre des difficultés de recrutement. Selon cette directrice, ses difficultés ne seraient pas liées au manque de candidat car sa position stratégique en plein cœur de Mazamet favorise les candidatures, mais plutôt à leur non qualification. Cela fait écho à notre démarche systémique des tensions sur le marché du travail (voir schéma n°1 ; voir carte n°9 ; voir carte n°16). La position centrale de l’agence à Mazamet réduit les difficultés de mobilité, à trouver un logement, et à accéder aux services, ce qui entraîne plus de candidatures auprès des entreprises situées à Mazamet, que dans le reste de la vallée. Par exemple les établissements de santé situé à Saint-Amans-Soult ou à Labastide-Rouairoux (à 26min de Mazamet) (voir carte n°16), plus éloignés du pôle mazamétain, rencontrent plus de difficultés à recruter par rapport à la distance et à leur localisation périphérique. Cela a été affirmé par les principaux intéressés.
Selon la directrice de l’agence, même si elle occupe une position géographique stratégique, les candidatures ne sont pas toutes pertinentes car les postulant ne sont pas tous qualifiées, ce qui pose problème à cause des nombreuses défections de certaines employées : « On a des difficultés à recruter, et encore je suis privilégiée par rapport à ma position géographiques. Je ne me plains pas personnellement. Le plus difficile ce n’est pas les problèmes de recrutement, mais les problèmes d’absentéisme, de maladie… C’est lié, mais je ne peux pas embaucher quelqu’un à chaque fois qu’on a une salariée malade. L’objectif ce n’est pas de prendre des CDD comme ça pour faire des remplacements. Je ne peux pas me permettre de prendre des CDI non plus si je n’ai pas des 120-150h par mois en retour. J’ai quand même des candidates qui viennent régulièrement, et on reçoit des annonces sans arrêt. Après je ne dis pas que ça correspond toujours. Lundi on a 2 dames qui sont venues en disant pour une qu’elle était la voisine d’une de nos bénéficiaires, mais 0 expérience, elle n’a jamais travaillée dans ce milieu-là, on évite généralement » (Entretien n°1.8. VTMN).
Cette tendance au départ des employées d’aide à domicile n’est pas une situation isolée, lors des entretiens nous avons rencontré Géraldine (auxiliaire de vie) qui nous l’a confirmé : « Je ne connais pas les difficultés de recrutement de mon entreprise. Je sais que j’ai des collègues qui ne restent pas longtemps » (Entretien n°2.2. VTMN). En effet le métier d’aide à domicile est très difficile parfois, psychologiquement et physiquement, ce qui nécessite des qualifications, de l’expérience et surtout l’envie d’aider. Etant au service direct de personnes ne pouvant pas effectuer certaines tâches seules, les employeurs des services d’aide à domicile ont des critères de recrutement plus stricts que les autres entreprises de la vallée. Beaucoup de personnes peuvent ne pas s’y faire, surtout à cause de certaines représentations dégradantes de ce métier : « Pour eux nous sommes des femmes de ménages. Et c’est une question de vocabulaire, on ne va pas leur en vouloir. Mais le métier a été réévalué depuis le COVID. Au début je ne voulais pas être auxiliaire de vie, aujourd’hui ça s’appelle comme ça, mais avant la réévaluation j’étais Agente à domicile » (Entretien n°2.2. VTMN).
d) Les maisons de retraites
Dans les maisons de retraites les tensions sont également avérées, en particulier pour les métiers requérant des compétences et des diplômes. Un auxiliaire de soins de l’EHPAD de Saint-Amans-Soult nous a confié ressentir directement les tensions causées par la vacance des postes en tension dans le temps : « Oui l’entreprise a du mal à recruter et cela a des conséquences directes sur nos vacances d’été. On nous demande de ne poser que 15 jours ou de s’arranger entre nous. Il faut une continuité de services. Sans remplaçant on ne peut pas partir en vacances, donc ça génère du stress. Donc ça produit parfois une mauvaise ambiance dans l’équipe parce qu’il faut négocier entre nous, et la maison de retraite ne va pas s’arrêter de tourner pour nous et nos vacances. Les difficultés de recrutement durent depuis quand même quelques temps. Je ne sais pas si cela est dû au COVID, mais depuis 2-3 ans c’est compliqué de recruter du personnel. C’est difficile par rapport aux horaires. On finit le soir à 21h, on commence le matin à 6h30. Encore nous les titulaires, on arrive à ne travailler qu’un week-end sur 2, mais les remplaçants font parfois 1-2-3 week-ends d’affilés » (Entretien n°2.1. VTMN).
Même si le travail en maison de retraite auprès des personnes âgées nécessite de l’expérience sur le volet médicale, les maisons de retraites comportent bien d’autres métiers, qui là aussi nécessitent du personnelle : « L’EHPAD c’est l’administratif, la cuisine, l’entretien, le ménage, aide-soignant, infirmier, vous imaginez le panel d’emploi dans un établissement comme celui-ci c’est gigantesque. Il faut être un peu polyvalent » (Entretien n°1.4. VTMN, Directeur de l’EHPAD de Labastide-Rouairoux). La polyvalence est de mise, tout comme dans l’industrie, et le directeur de l’EHPAD avoue donner leur chance à des personnes sans expériences sur des métiers moins qualifiés au sein de l’établissement : « Un jour j’ai reçu quelqu’un, l’entretien était sympa je voyais cette envie de bosser, mais je sentais que quelque chose n’était pas nette. J’ai donc demandé le casier judiciaire, et là ! j’ai eu des larmes à l’arrivée. La personne m’a dit qu’elle avait fait des conneries. Je lui ai montré ma petite sculpture là (sculpture montrant quelqu’un tendant la main à quelqu’un d’autres pour l’empêcher de tomber dans le vide) et je lui ai dit « Ecoutez on est en avril 2021, et vous vous souviendrez toute votre vie qu’il y a un con de directeur qui vous a fait confiance, mais ça va bien se passer ». Et aujourd’hui c’est l’un de mes meilleurs recrutements. C’est pour ça que je me lève le matin. Soit on aide soit on est aidé. On n’est pas tous forts dans la vie. Je suis fier d’avoir fait ce recrutement, je lui ai évité la prison grâce au boulot tout ça. C’est génial ! » (Entretien n°1.4. VTMN)
e) Le bâtiment
Le secteur du bâtiment sur toutes ses déclinaisons est lui aussi en difficulté lorsque nous croisons les témoignages de nos différents interlocuteurs. La quasi-totalité des établissements se trouvent en fond de vallée et à proximité des réseaux de transport et d’autres axes de mobilités comme la voie verte, ce qui favorise leur accès, sous couvert d’avoir un moyen de transport (voir carte n°16). Dans le prolongement du secteur du bois, et à la croisée des chemins avec le secteur de la construction, l’artisanat subit également des tensions. Il faut préciser que par artisanat nous entendons la transformation de produits par le biais d’un savoir-faire et d’une technique.
La Responsable Ressources Humaine d’une entreprise de menuiserie à Labastide Rouairoux nous a fait part des difficultés de recrutement dans le secteur du bâtiment : « On a des difficultés à recruter ! Je ne sais pas à quoi c’est dû. […] Je pense qu’en menuiserie et en charpente ce sont des métiers qui sont sous tension, je pense qu’on a du mal à recruter. Dans le secteur de la construction ici pour tout le monde je pense que c’est pareil. C’est surtout le travail manuel qui pose problème, après à Montpellier et Nîmes on a le même problème. On trouverait plus facilement des personnes pour l’atelier car le travail est plus intéressant par la technique alors que la pose est plus physique » (Entretien n°1.2. VTMN).
3.1.2. Des contraintes territoriales de plus en plus forte en fonction de la distance et de l’altitude
a) Une approche systémique de l’ancrage et de l’accès à l’emploi rural, l’hyper-ruralité renforcé en longitude et en altitude
Tous les MET de la vallée font face aux mêmes problèmes que nous avons relevés dans notre schéma territorial des tensions (voir schéma n°1), et que nous avons mis en perspective grâce à la carte n°16. En mobilisant notre schéma de système territorial des tensions sur le marché du travail rural et de l’ancrage et en croisant cela avec notre représentation 3D de la vallée du Thoré notre système territorial prend tout son sens. Et nous allons poursuivre notre explication.
Les communes de Mazamet, Bout du Pont de l’Arn et Pont de l’Arn, font office de pôle pour les autres communes rurales de la vallée (voir carte n°9). La majorité des services et des activités s’y concentrent. Les zones d’habitations y sont aussi plus importantes. Mazamet offre aussi l’avantage d’avoir une gare SNCF, ce qui permet une ouverture vers d’autres territoires nationaux. En suivant la N112, jusqu’à Labastide-Rouairoux, cela dure environ 30 minutes si l’on possède une voiture, ce qui est beaucoup si l’on se fie aux travaux de S. Depraz (2017)166 et A. Bertrand (2014)167, selon lesquels l’hyper-ruralité commence à plus de 17 minutes d’un pôle. Plus nous nous éloignons de Mazamet, et moins l’offre en transport et en service est importante. Sur notre carte 3D cela est représenté la plus grande présence des figurés dans le fond de vallée que sur les versants (voir carte n°16). Même si l’offre en service de proximité (Santé, Ecoles, Commerces) est jugée suffisante par tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés dans chaque commune du CM-2, ceux-ci ne sont accessibles qu’à la condition d’être mobile. En montant sur les versants via les routes secondaires, l’éloignement et la ruralité s’aggrave encore plus. La mobilité est encore plus à mesure que l’on grimpe en altitude. Les transports en communs n’y passent pas, le réseau internet se fait plus rare, et tous les services commerciaux sont inexistants. Le logement subit le même phénomène verticale et horizontale, que nous allons démontrer dans notre partie dédiée au logement.
A ces contraintes s’ajoutent les problématiques au niveau de l’accueil des personnes non natives de la région et la problématique de l’emploi. A mesure que l’on s’insère dans l’hyper-ruralité de la vallée du Thoré, les tensions dues aux capacités d’intégration et d’ancrage au sein des populations s’aggravent. En référence à notre partie diagnostic (voir étude de cas n°1), et en référence aux paysages que nous avons décrits, nous pouvons faire la relation entre la distance et le la ruralisation des paysages montagnard.
Tout cela est un système. Il y a le volet économique avec la présence d’entreprises avec des difficultés à recruter (ressource de la théorie de la base résidentielle), auquel se superpose un volet territorial aux multiples contraintes dû à l’hyper-ruralité de l’espace, et un volet sociologique et anthropologique. Ces volets interagissent ensemble pour créer notre système territorial d’ancrage et d’accès à l’emploi rural (voir schéma n°1). Pour pouvoir recruter le territoire doit aussi être attractif, par rapport à sa situation géographique souffrant de multiples représentations.
Sans moyen de mobilité être et sans travail, le demandeur d’emploi ne pourra pas accéder à un logement, et cela peut s’articuler dans tous les sens. Au niveau services il y en a mais il faut pouvoir se déplacer pour y accéder, plus on est en altitude plus c’est compliqué. Au niveau d’internet il y a des zones blanches. Il faut rajouter à tout cela l’accueil et l’intégration dans les territoires, ce qui est compliqué dans un espace rural isolé. Toutes ces raisons créent des tensions sur le marché du travail et sont surtout liées à la mobilité, qui permet de débloquer ces situations. La mobilité est vraiment l’élément déclencheur de notre système qui permet de désigner le projet du CIVAM Thoré Montagne Noire comme un projet de développement local en utilisant la ressource des MET.
b) La mobilité, le facteur X pour accéder à l’emploi et pratiquer l’espace rural
Répétons-le, la mobilité est le principal fil conducteur de notre diagnostic de territoire sur les métiers en tensions en vallée du Thoré, et le résultat d’enquête majeur. Ce facteur est central dans le fonctionnement de notre système territorial que nous essayons de démontrer. Être mobile, c’est se donner les moyens de développer son « employabilité » (C. Aoun, 2021) pour les employeurs cherchant de la main d’œuvre et pouvoir espérer une installation durable sur le territoire, si l’on arrive à s’affranchir des autres facteurs de tension. Les entretiens nous le confirment, la totalité des personnes que nous avons rencontrées, dans les 4 types d’acteurs enquêtés, est unanime sur le fait que posséder le permis de conduire et un moyen de locomotion sont des éléments vitaux, en l’absence de réseau de transport en commun adéquat.
« C’est obligatoire. C’est évident. Si quelqu’un nous appelle et nous dit qu’il n’a pas le permis, ce n’est même pas la peine de venir. C’est impossible à moins d’être très, très sportif. Dans la vallée il y a un bus mais ça ne nous concerne pas là-haut. Je ne l’ai jamais pris. » (Entretien n°1.6. VTMN, Couple d’agriculteurs et fabricant de fromage à Rouairoux).
« La voiture est obligatoire. Nous au Rialet les premiers commerces sont à 20km. Pas de transports en commun. Donc c’est indispensable. Ça fait des années qu’on réfléchit à la mobilité, quand on est sur des villages à 100 habitants on ne mettra jamais de bus en place. » (Entretien n°3.2. VTMN, Président de la CCTMN)
« C’est obligatoire. Pour d’autres alternatives, actuellement, il y a le vélo, mais voilà. J’ai un collègue qui vient de Mazamet, il vient soit à pied, soit en vélo. Il y a plus de 10km. Pour le bus, je ne pense pas qu’il y a un bus qui parte de 5h à Mazamet pour venir à St-Amans. Et ce sont des petits villages, à 500m de la nationale il y a tous les emplois. S’il était fiable et qu’il nous arrêtait au bord de la route ça serait bien. » (Entretien n°2.1. VTMN, Auxiliaire de soins de l’EHPAD de Saint-Amans-Soult)
« Je n’ai pas de voiture. Même si ça m’attire et que j’aimerais bien, je ne peux pas y aller. » (Entretien n°4.1. VTMN, Demandeur d’emploi résident à Mazamet).
Pour les personnes réfugiées et DEA, la question de la mobilité est encore plus handicapante lorsque l’on sait qu’ils ne possèdent souvent ni le permis de conduire, ni de voiture, comme nous l’avons touché plus tôt lorsque nous avons exclu les exploitations agricoles de nos pistes d’enquête. Trop souvent lors des enquêtes nous avons croisé des arrêts de bus désertés par les usagers le long de la N112 (voir photo n°14).