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Extrait du diagnostic de territoire pour identifier les métiers en tension sur le territoire du Tarn et de la Lozère par Anthony RILCY

Quels sont les métiers en tension dans la vallée ? Une question de motivation plutôt que de compétences

a) Un peu tous les métiers sont en tension, sauf l’agriculture

Après avoir interrogé une quinzaine d’acteurs clé toutes catégories confondues, le premier résultat est  qu’il est difficile de dresser un tableau précis des MET dans le CM-2, tant plusieurs secteurs d’activité  rencontrent des difficultés de recrutement. Certains de nos interlocuteurs comme le Président de la  CCTMN appuient sur le fait que toutes les entreprises du territoire rencontrent des difficultés de  recrutement. Le même son de cloche résonne auprès des autres acteurs rencontrés :

« Ah oui mon secteur est clairement en tension. Mais c’est le cas dans toute la vallée » (Entretien  n°1.9. VTMN, Co-directeur d’une entreprise de l’industrie mécanique à Saint-Amans-Soult).

« Toutes les offres sur le territoire ne correspondent pas aux attentes des demandeurs d’emploi […] Je  pense qu’il y a réellement une tension. L’an passé on a vraiment galérés on a été obligé de bosser plus et  les salariés ont fait des heures supp car on n’arrivait pas à recruter. Ça vient aussi de ce que la société  attend » (Entretien n°1.1. VTMN, Agriculteur, fabricant de fromage, et Maire d’Albine).

Sur 9 entreprises locales, les deux exploitations agricoles que nous avons rencontrées sont les seuls  à ne pas exprimer de difficultés de recrutement. Si ces agriculteurs ne nient pas avoir eu des difficultés par  le passé, ils n’envisagent pas pour autant d’entamer des projets de recrutement, soit parce qu’ils ont déjà  leurs effectifs complets, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens d’embaucher un temps plein à eux seul, hors  groupement d’employeur : 

« Là je n’ai pas de salarié et je ne recrute pas, mais je pense que si je recrutais la difficulté serait  le manque de candidats. Cela peut leur faire peur que ça soit un emploi multitâche. Avec de multiples  employeurs car nous personnellement on n’a pas les moyens d’avoir un temps plein, mais par la CUMA oui  si on arrivait à monter un projet… Il faut pouvoir s’adapter, notre secteur est très manuel, ça peut faire  peur aussi » (Entretien n°1.5. VTMN, Couple d’agriculteurs producteurs de lait à Saint-AmansValtoret, dont le président de la caisse locale du crédit agricole, maire adjoint à Saint-Amans-Valtoret et trésorier de la CUMA à Montagnol). 

« Nous ne recrutons pas en ce moment […] En fait beaucoup d’exploitations ne dégagent pas assez de  revenus pour embaucher quelqu’un. A temps plein, non, à temps partiel, difficile. En groupement  d’employeurs il y a eu des expériences, des échecs il y a 15-20 ans, mais ça échoué donc les gens sont restés là-dessus. C’est difficile. […] Je ne pense pas que l’agriculture soit en tension ici. Le monde de l’agricole  est en transition. Les baby-boomers prennent la retraite, et on ne sait pas ce qui va advenir des fermes. Ces  gens-là n’embauchent plus. Les descendants ne sont pas intéressés. Est-ce que des personnes extérieures  vont venir reprendre les fermes ? Vont-ils s’installer ? Vont-ils embaucher ? On ne sait pas » (Entretien  n°1.6. VTMN, couple d’Agriculteurs, éleveurs de vaches laitières, et fabricants de fromage, à  Rouairoux, dont le Président de la CUMA d’Anglès).

Selon les agriculteurs rencontrés, l’agriculture ne peut être considérée comme comportant des métiers  en tension. Même l’industrie agro-alimentaire en rencontre en fond de vallée. Ces agriculteurs n’excluent  pourtant pas le recrutement de saisonniers durant les périodes estivales, de stagiaires et d’apprentis. 

Dans le cadre du projet SOLID’R, ils ne sont pas non-plus contre le fait de recevoir des personnes  réfugiées en stage ou en poste. Néanmoins, nous faisons le choix de ne pas privilégier cette piste pour le  projet. La majorité ne pouvant recruter qu’en temps partiel, cela ne peut pas s’accorder avec l’emploi du  temps d’une personne réfugiés ou DEA ayant du mal à être mobile surtout dans un espace à fortes contraintes  territoriales. A cela s’ajoute la localisation des exploitations, éloignées du la N112 et souvent plus haute en  altitude sur l’un des deux versants de la vallée (voir l’étude de cas n°1). Aucun transport en commun ne  les dessert, ce qui rend de facto ces métiers presque inaccessibles à ces publics-là. 

Cela est bien illustré par notre représentation 3D de la vallée (voir carte n°16). Par exemple, si un  travailleur veut se rendre à la ferme du Rodier à Rouairoux, il n’y a aucun transport en commun. Il devra  s’y rendre par ses propres moyens, de préférence en voiture car la voie verte ne passe que dans le fond de  vallée. Le Rodier se situe au sommet de Rouairoux, comme nous pouvons le voir sur versant nord, et en  temps partiel par groupement d’employeurs, s’il faut par exemple aller ensuite travailler à la ferme de Saint

Amans-Valtoret pour finir sa journée, sans être mobile c’est difficile, voire impossible. Les fermes ne  recrutent pas, et leur localisation imposent d’énormes contraintes de mobilité. Pour le projet SOLID’R, le  l’attention doit donc se porter sur les entreprises du fond de vallée, même s’il est important de souligner que  les agriculteurs sont plutôt réceptifs au projet et ne doivent pas être bannis si des solutions de mobilité  peuvent être apportées.

b) L’industrie, premier secteur rencontrant des difficultés

Contrairement aux exploitations agricoles, les industries se situent plutôt dans le fond de vallée (voir  étude de cas n°1), ce qui rend leur accès plus simple le long de la N112, bien qu’elles se situent dans des  espaces éloignés du pôle mazamétain (voir carte n°9 et 16). En exploitant les données qualitatives que nous  avons pu récolter lors de nos entretiens, nous avons remarqué que trois secteurs d’activité principaux sortes  du lot parmi ceux rencontrant de grandes difficultés à recruter du personnel. En l’occurrence, le secteur le  plus cité et qui fait écho au glorieux passé industriel textile de la vallée (R. Cazals, 1984, 2010), est le  secteur de l’industrie. Les industries du fond de vallée (industrie mécanique, du bois, et d’autres secteurs  tels que la brique en terre cuite, l’agro-alimentaire) ont du mal à recruter du personnel.

Les difficultés à recruter dans l’industrie mécanique sont ressortis dans quasiment tous les entretiens.  Cela nous est confirmé par les principaux intéressés que nous avons rencontrés, et par les conseillers  départementaux : 

« En termes de qualification pure nous avons des difficultés à recruter car on est dans une niche.  Trouver un ingénieur typé hydroélectricité c’est compliqué, ou bien il faut le débaucher, mais un jeune, il  n’y a pas d’école type. Le gros problème c’est la localisation. St-Amans, ça n’attire pas, nous avons été  obligés d’ouvrir un bureau à Toulouse. Nous sommes une petite structure, dans un espace rural, avec des  métiers spécifiques, il faut un peu jongler. Mais on forme en interne » (Entretien n°1.7. VTMN, Fondateur, et directeur financier d’une entreprise spécialisée dans la fabrication d’énergie  renouvelable, à Saint-Amans-Soult).

« Je vais parler plutôt pour la partie usinage car je m’occupe plutôt de ça. Depuis juillet j’ai mis des  annonces un peu partout, le Pôle emploi, des affiches dans les salons spécialisés, sur des sites internet, et  je n’ai eu aucune réponse qui match. Ou par la géographie, ou par rapport au poste lui-même » (Entretien  n°1.9. VTMN, Co-directeur d’une entreprise de fabrication de machines spéciales à Saint-AmansSoult).

Nous l’avons vu dans notre partie diagnostic, le bois est une ressource importante sur le territoire  du CM-2. N’ayant pas pu rencontrer d’entreprise officiant dans le secteur du bois, nous en avons déduit les  difficultés grâce aux personnes ressources et aux personnes rencontrés hors du cadre des entretiens : « Dans  le secteur du bois, surtout pour la coupe, nous avons beaucoup de mal à trouver des bûcherons, ça manque.  A Anglès ce sont des gens qui arrivent du Maghreb qui viennent faire la coupe. Et on a été les chercher !  Cela fait 50 ans que ça dure, ce n’est pas nouveau. C’est quand même fou alors qu’il peut y avoir des gens  ici pour effectuer ce travail » (Entretien n°3.1. VTMN, Conseillers départementaux du CM-2). Historiquement c’est donc un secteur qui a toujours manqué de main d’œuvre.

Plus largement c’est la quasi-totalité de l’industrie locale qui rencontrerait des difficultés. En témoigne  Le directeur d’une briqueterie à Albine, qui nous a fait part de ses inquiétudes par rapport aux métiers  qu’il propose au sein de son entreprise. Des inquiétudes qui serait les mêmes pour toutes les industries de la  vallée et plus largement, au niveau national : « On a des difficultés à recruter, Je ne dirais pas par secteurs  d’activités mais plutôt par types de métiers. Mais ça je sais que c’est un problème partout il manque environ  50 000 soudeurs aujourd’hui en France, 100 000 chauffeurs de poids lourds. Oui il y a des métiers en  tension. Les métiers techniques liés à la mécanique et l’électromécanique, et à la réparation des outils  industriels sont vraiment très en tension » (Entretien n°1.3. VTMN).

Il serait difficile de dresser une liste de tous les métiers en tension au sein des entreprises, tant celles-ci  recherchent des personnes polyvalentes, pouvant occuper des postes de travail différents. Les métiers de  l’industrie les plus désertés par les demandeurs d’emploi sont les métiers nécessitant de bonnes capacités  physiques et de grandes capacités d’adaptation. Un agriculteur fabricant de fromage (Industrie  agroalimentaire) à Albine, nous l’explique bien : « C’est vrai qu’on a eu plus de mal pour le travail physique  et le travail répétitif car on a quand même une partie plonge, et c’est vrai que ce sont des boulots qui sont…  (silence révélateur) Pourtant on essaye de faire tourner, qu’il n’y ait pas toujours la même personne, mais  c’est vrai que ce sont des travails toujours plus ingrats, c’est moins attractif » (Entretien n°1.1. VTMN).

Si toutes les industries se situent dans le fond de vallée, elles ne sont pas toutes situées à proximité de  la N112, ce qui nous ramène une nouvelle fois au problème de la mobilité. Les transports en commun ne  desservant pas les routes secondaires. Même si elles bénéficient d’une localisation favorable, les travailleurs  sont quand même obligés de trouver des stratagèmes afin être présents à l’heure (voire carte n°16).

c) Les métiers des services à la personne

Les métiers des services à la personnes (SAP) et du bâtiment sont deux autres secteurs parmi les  plus cités lors des entretiens. Pour les SAP, il convient de rappeler que près de 40% de la population du  canton a plus de 60 ans, ce qui représente potentiellement un grand nombre de personne nécessitant de l’aide  à domicile. Selon l’un des conseiller départementaux (Ancien directeur de maison de retraite à Labastide

Rouairoux), il y a 5 maisons de retraites sur le territoire du canton, dont 3 à Mazamet, où il manquerait du  personnel qualifié. Nous avons rencontré la directrice d’une agence d’aide à domicile de Mazamet qui  rencontre des difficultés de recrutement. Selon cette directrice, ses difficultés ne seraient pas liées au manque de candidat car sa position stratégique en plein cœur de Mazamet favorise les candidatures, mais plutôt à  leur non qualification. Cela fait écho à notre démarche systémique des tensions sur le marché du travail  (voir schéma n°1 ; voir carte n°9 ; voir carte n°16). La position centrale de l’agence à Mazamet réduit  les difficultés de mobilité, à trouver un logement, et à accéder aux services, ce qui entraîne plus de  candidatures auprès des entreprises situées à Mazamet, que dans le reste de la vallée. Par exemple les  établissements de santé situé à Saint-Amans-Soult ou à Labastide-Rouairoux (à 26min de Mazamet) (voir carte n°16), plus éloignés du pôle mazamétain, rencontrent plus de difficultés à recruter par rapport à la  distance et à leur localisation périphérique. Cela a été affirmé par les principaux intéressés.

Selon la directrice de l’agence, même si elle occupe une position géographique stratégique, les candidatures  ne sont pas toutes pertinentes car les postulant ne sont pas tous qualifiées, ce qui pose problème à cause des  nombreuses défections de certaines employées : « On a des difficultés à recruter, et encore je suis  privilégiée par rapport à ma position géographiques. Je ne me plains pas personnellement. Le plus difficile  ce n’est pas les problèmes de recrutement, mais les problèmes d’absentéisme, de maladie… C’est lié, mais  je ne peux pas embaucher quelqu’un à chaque fois qu’on a une salariée malade. L’objectif ce n’est pas de  prendre des CDD comme ça pour faire des remplacements. Je ne peux pas me permettre de prendre des  CDI non plus si je n’ai pas des 120-150h par mois en retour. J’ai quand même des candidates qui viennent  régulièrement, et on reçoit des annonces sans arrêt. Après je ne dis pas que ça correspond toujours. Lundi  on a 2 dames qui sont venues en disant pour une qu’elle était la voisine d’une de nos bénéficiaires, mais 0  expérience, elle n’a jamais travaillée dans ce milieu-là, on évite généralement » (Entretien n°1.8. VTMN).

Cette tendance au départ des employées d’aide à domicile n’est pas une situation isolée, lors des  entretiens nous avons rencontré Géraldine (auxiliaire de vie) qui nous l’a confirmé : « Je ne connais pas  les difficultés de recrutement de mon entreprise. Je sais que j’ai des collègues qui ne restent pas longtemps » (Entretien n°2.2. VTMN). En effet le métier d’aide à domicile est très difficile parfois, psychologiquement  et physiquement, ce qui nécessite des qualifications, de l’expérience et surtout l’envie d’aider. Etant au  service direct de personnes ne pouvant pas effectuer certaines tâches seules, les employeurs des services  d’aide à domicile ont des critères de recrutement plus stricts que les autres entreprises de la vallée. Beaucoup  de personnes peuvent ne pas s’y faire, surtout à cause de certaines représentations dégradantes de ce métier :  « Pour eux nous sommes des femmes de ménages. Et c’est une question de vocabulaire, on ne va pas leur  en vouloir. Mais le métier a été réévalué depuis le COVID. Au début je ne voulais pas être auxiliaire de vie,  aujourd’hui ça s’appelle comme ça, mais avant la réévaluation j’étais Agente à domicile » (Entretien  n°2.2. VTMN).

d) Les maisons de retraites

Dans les maisons de retraites les tensions sont également avérées, en particulier pour les métiers  requérant des compétences et des diplômes. Un auxiliaire de soins de l’EHPAD de Saint-Amans-Soult nous a confié ressentir directement les tensions causées par la vacance des postes en tension dans le temps :  « Oui l’entreprise a du mal à recruter et cela a des conséquences directes sur nos vacances d’été. On nous  demande de ne poser que 15 jours ou de s’arranger entre nous. Il faut une continuité de services. Sans  remplaçant on ne peut pas partir en vacances, donc ça génère du stress. Donc ça produit parfois une  mauvaise ambiance dans l’équipe parce qu’il faut négocier entre nous, et la maison de retraite ne va pas  s’arrêter de tourner pour nous et nos vacances. Les difficultés de recrutement durent depuis quand même  quelques temps. Je ne sais pas si cela est dû au COVID, mais depuis 2-3 ans c’est compliqué de recruter du  personnel. C’est difficile par rapport aux horaires. On finit le soir à 21h, on commence le matin à 6h30.  Encore nous les titulaires, on arrive à ne travailler qu’un week-end sur 2, mais les remplaçants font parfois  1-2-3 week-ends d’affilés » (Entretien n°2.1. VTMN).

Même si le travail en maison de retraite auprès des personnes âgées nécessite de l’expérience sur  le volet médicale, les maisons de retraites comportent bien d’autres métiers, qui là aussi nécessitent du  personnelle : « L’EHPAD c’est l’administratif, la cuisine, l’entretien, le ménage, aide-soignant, infirmier,  vous imaginez le panel d’emploi dans un établissement comme celui-ci c’est gigantesque. Il faut être un peu  polyvalent » (Entretien n°1.4. VTMN, Directeur de l’EHPAD de Labastide-Rouairoux). La polyvalence  est de mise, tout comme dans l’industrie, et le directeur de l’EHPAD avoue donner leur chance à des  personnes sans expériences sur des métiers moins qualifiés au sein de l’établissement : « Un jour j’ai reçu  quelqu’un, l’entretien était sympa je voyais cette envie de bosser, mais je sentais que quelque chose n’était  pas nette. J’ai donc demandé le casier judiciaire, et là ! j’ai eu des larmes à l’arrivée. La personne m’a dit  qu’elle avait fait des conneries. Je lui ai montré ma petite sculpture là (sculpture montrant quelqu’un  tendant la main à quelqu’un d’autres pour l’empêcher de tomber dans le vide) et je lui ai dit « Ecoutez  on est en avril 2021, et vous vous souviendrez toute votre vie qu’il y a un con de directeur qui vous a fait  confiance, mais ça va bien se passer ». Et aujourd’hui c’est l’un de mes meilleurs recrutements. C’est pour  ça que je me lève le matin. Soit on aide soit on est aidé. On n’est pas tous forts dans la vie. Je suis fier  d’avoir fait ce recrutement, je lui ai évité la prison grâce au boulot tout ça. C’est génial ! » (Entretien  n°1.4. VTMN)

e) Le bâtiment

Le secteur du bâtiment sur toutes ses déclinaisons est lui aussi en difficulté lorsque nous croisons les  témoignages de nos différents interlocuteurs. La quasi-totalité des établissements se trouvent en fond de  vallée et à proximité des réseaux de transport et d’autres axes de mobilités comme la voie verte, ce qui  favorise leur accès, sous couvert d’avoir un moyen de transport (voir carte n°16). Dans le prolongement du  secteur du bois, et à la croisée des chemins avec le secteur de la construction, l’artisanat subit également des  tensions. Il faut préciser que par artisanat nous entendons la transformation de produits par le biais d’un  savoir-faire et d’une technique.

La Responsable Ressources Humaine d’une entreprise de menuiserie à Labastide Rouairoux nous  a fait part des difficultés de recrutement dans le secteur du bâtiment : « On a des difficultés à recruter ! Je  ne sais pas à quoi c’est dû. […] Je pense qu’en menuiserie et en charpente ce sont des métiers qui sont sous  tension, je pense qu’on a du mal à recruter. Dans le secteur de la construction ici pour tout le monde je  pense que c’est pareil. C’est surtout le travail manuel qui pose problème, après à Montpellier et Nîmes on  a le même problème. On trouverait plus facilement des personnes pour l’atelier car le travail est plus  intéressant par la technique alors que la pose est plus physique » (Entretien n°1.2. VTMN).

3.1.2. Des contraintes territoriales de plus en plus forte en fonction de la distance et de l’altitude

a) Une approche systémique de l’ancrage et de l’accès à l’emploi rural, l’hyper-ruralité renforcé  en longitude et en altitude

Tous les MET de la vallée font face aux mêmes problèmes que nous avons relevés dans notre schéma  territorial des tensions (voir schéma n°1), et que nous avons mis en perspective grâce à la carte n°16. En  mobilisant notre schéma de système territorial des tensions sur le marché du travail rural et de l’ancrage et  en croisant cela avec notre représentation 3D de la vallée du Thoré notre système territorial prend tout son  sens. Et nous allons poursuivre notre explication.

Les communes de Mazamet, Bout du Pont de l’Arn et Pont de l’Arn, font office de pôle pour les autres  communes rurales de la vallée (voir carte n°9). La majorité des services et des activités s’y concentrent.  Les zones d’habitations y sont aussi plus importantes. Mazamet offre aussi l’avantage d’avoir une gare  SNCF, ce qui permet une ouverture vers d’autres territoires nationaux. En suivant la N112, jusqu’à Labastide-Rouairoux, cela dure environ 30 minutes si l’on possède une voiture, ce qui est beaucoup si l’on  se fie aux travaux de S. Depraz (2017)166 et A. Bertrand (2014)167, selon lesquels l’hyper-ruralité commence à plus de 17 minutes d’un pôle. Plus nous nous éloignons de Mazamet, et moins l’offre en  transport et en service est importante. Sur notre carte 3D cela est représenté la plus grande présence des  figurés dans le fond de vallée que sur les versants (voir carte n°16). Même si l’offre en service de proximité  (Santé, Ecoles, Commerces) est jugée suffisante par tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés dans  chaque commune du CM-2, ceux-ci ne sont accessibles qu’à la condition d’être mobile. En montant sur les  versants via les routes secondaires, l’éloignement et la ruralité s’aggrave encore plus. La mobilité est encore  plus à mesure que l’on grimpe en altitude. Les transports en communs n’y passent pas, le réseau internet se  fait plus rare, et tous les services commerciaux sont inexistants. Le logement subit le même phénomène  verticale et horizontale, que nous allons démontrer dans notre partie dédiée au logement.

A ces contraintes s’ajoutent les problématiques au niveau de l’accueil des personnes non natives de  la région et la problématique de l’emploi. A mesure que l’on s’insère dans l’hyper-ruralité de la vallée du  Thoré, les tensions dues aux capacités d’intégration et d’ancrage au sein des populations s’aggravent. En  référence à notre partie diagnostic (voir étude de cas n°1), et en référence aux paysages que nous avons  décrits, nous pouvons faire la relation entre la distance et le la ruralisation des paysages montagnard.

Tout cela est un système. Il y a le volet économique avec la présence d’entreprises avec des  difficultés à recruter (ressource de la théorie de la base résidentielle), auquel se superpose un volet territorial  aux multiples contraintes dû à l’hyper-ruralité de l’espace, et un volet sociologique et anthropologique. Ces  volets interagissent ensemble pour créer notre système territorial d’ancrage et d’accès à l’emploi rural (voir  schéma n°1). Pour pouvoir recruter le territoire doit aussi être attractif, par rapport à sa situation  géographique souffrant de multiples représentations. 

Sans moyen de mobilité être et sans travail, le demandeur d’emploi ne pourra pas accéder à un logement,  et cela peut s’articuler dans tous les sens. Au niveau services il y en a mais il faut pouvoir se déplacer pour  y accéder, plus on est en altitude plus c’est compliqué. Au niveau d’internet il y a des zones blanches. Il faut  rajouter à tout cela l’accueil et l’intégration dans les territoires, ce qui est compliqué dans un espace rural  isolé. Toutes ces raisons créent des tensions sur le marché du travail et sont surtout liées à la mobilité, qui  permet de débloquer ces situations. La mobilité est vraiment l’élément déclencheur de notre système qui  permet de désigner le projet du CIVAM Thoré Montagne Noire comme un projet de développement local  en utilisant la ressource des MET.

b) La mobilité, le facteur X pour accéder à l’emploi et pratiquer l’espace rural

Répétons-le, la mobilité est le principal fil conducteur de notre diagnostic de territoire sur les métiers  en tensions en vallée du Thoré, et le résultat d’enquête majeur. Ce facteur est central dans le fonctionnement  de notre système territorial que nous essayons de démontrer. Être mobile, c’est se donner les moyens de  développer son « employabilité » (C. Aoun, 2021) pour les employeurs cherchant de la main d’œuvre et  pouvoir espérer une installation durable sur le territoire, si l’on arrive à s’affranchir des autres facteurs de  tension. Les entretiens nous le confirment, la totalité des personnes que nous avons rencontrées, dans les 4  types d’acteurs enquêtés, est unanime sur le fait que posséder le permis de conduire et un moyen de  locomotion sont des éléments vitaux, en l’absence de réseau de transport en commun adéquat.

« C’est obligatoire. C’est évident. Si quelqu’un nous appelle et nous dit qu’il n’a pas le permis, ce  n’est même pas la peine de venir. C’est impossible à moins d’être très, très sportif. Dans la vallée il y a un bus mais ça ne nous concerne pas là-haut. Je ne l’ai jamais pris. » (Entretien n°1.6. VTMN, Couple  d’agriculteurs et fabricant de fromage à Rouairoux).

« La voiture est obligatoire. Nous au Rialet les premiers commerces sont à 20km. Pas de transports  en commun. Donc c’est indispensable. Ça fait des années qu’on réfléchit à la mobilité, quand on est sur des  villages à 100 habitants on ne mettra jamais de bus en place. » (Entretien n°3.2. VTMN, Président de la  CCTMN)

« C’est obligatoire. Pour d’autres alternatives, actuellement, il y a le vélo, mais voilà. J’ai un  collègue qui vient de Mazamet, il vient soit à pied, soit en vélo. Il y a plus de 10km. Pour le bus, je ne pense  pas qu’il y a un bus qui parte de 5h à Mazamet pour venir à St-Amans. Et ce sont des petits villages, à 500m  de la nationale il y a tous les emplois. S’il était fiable et qu’il nous arrêtait au bord de la route ça serait  bien. » (Entretien n°2.1. VTMN, Auxiliaire de soins de l’EHPAD de Saint-Amans-Soult)

« Je n’ai pas de voiture. Même si ça m’attire et que j’aimerais bien, je ne peux pas y aller. »  (Entretien n°4.1. VTMN, Demandeur d’emploi résident à Mazamet). 

Pour les personnes réfugiées et DEA, la question de la mobilité est encore plus handicapante lorsque  l’on sait qu’ils ne possèdent souvent ni le permis de conduire, ni de voiture, comme nous l’avons touché  plus tôt lorsque nous avons exclu les exploitations agricoles de nos pistes d’enquête. Trop souvent lors des  enquêtes nous avons croisé des arrêts de bus désertés par les usagers le long de la N112 (voir photo n°14).